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Manifestes 

Textes fondateurs 

- Vues sur le travail du performeur -

 

Le Théâtre de l’Odyssée, une troupe comme des centaines d’autres créées chaque année au Québec, espère trouver sa place au sein du peuple montréalais, non pas en tant qu’unité de divertissement, mais bien en tant que lieu rassembleur. Il s’agit ici de créer une nouvelle pensée théâtrale, ou de marier des idées déjà énoncées par d’autres, c’est selon.

 

 

1. La formation

Il semble évident qu’afin de réaliser cette communauté désirant redonner ses lettres de noblesse au sacré, il est nécessaire que le groupe soit constitué d’artistes polyvalents, présents et formés. La méthode de formation des artistes n’a rien à voir avec les formations conformistes et surencadrantes que dispensent les écoles de théâtre reconnues. Il s’agit plutôt d’établir des objectifs assez précis pour être atteignables, mais assez généraux pour constituer une boîte à outils flexibles, qui ne confinera pas l’artiste à la conception limitée de la majorité. La formation pourra lui permettre de repousser les clôtures de cette conception.

 

1.1 Le talent

Un élément est essentiel et fondamental dans la mentalité du Théâtre de l’Odyssée : le talent n’existe pas. Il n’y a que la motivation, le travail, le temps, la sueur, bref, le don de soi qu’un être peut réaliser. On cherche ici l’idée de substance, qui découle de la matière brute. Même s’il arrive que l’on constate que certains aient une facilité qui semble naturelle avec une discipline ou une autre, cette facilité est probablement beaucoup plus le fruit de conditionnements favorables, souvent dus à une possibilité d’imitation, qu’une prédisposition physique ou génétique à une certaine technique. Nous sommes tous, frères et sœurs de la race humaine, égaux, constitués de la même façon, et très capables de faire du théâtre, de la musique, du cinéma, ou des arts plastiques. Et même si cette aisance technique s’avérait découler du naturel et de la génétique, il faudrait tout de même s’en méfier. Ce que l’on appelle le talent, loin d’être un atout, peut s’avérer très dangereux. En plus du risque évident de pousser l’artiste à s’asseoir sur ses lauriers, il confine également ce dernier à une prison de clichés, maigre portion de la discipline dans laquelle le « talentueux » excelle, et qui l’empêche de créer librement, c’est-à-dire, de s’aventurer en terrain inconnu, inconfortable. Et c’est là que nous voulons aller : nous voulons explorer la terra incognita, cette Amérique nouvelle, cet univers à découvrir au fur et à mesure que nous le créons. Pour cela, une seule chose amènera réellement l’artiste à une qualité, et c’est le training.

 

1.2 Le training

Si le talent est un élément fort négligeable chez un membre, il faut tout de même rechercher une certaine qualité dans le travail accompli par la troupe. Cette qualité, elle sera technique, oui, mais elle sera aussi présente dans la créativité. Il faudra donc créer un training qui développera les qualités physiques et psychologiques de l’acteur-danseur-musicien-dessinateur, autant que son imagination et sa créativité. Pour cela, il faudra un entraînement intensif qui aura pour but d’augmenter la force, la souplesse, l’équilibre, l’agilité et la coordination ; d’exercer la concentration, l’esprit d’abstraction, la capacité d’immersion et la curiosité ; et le tout, en évitant soigneusement les clichés et les lieux communs. Le training en soi doit être une recherche de sens, de transcendance, de vérité.

Il doit être une manière de douter constamment de ce que l’on a accompli. Il revient à chaque artiste de créer ses propres trainings, bien qu’il soit dans l’optique de l’Odyssée d’aider ses camarades en leur fournissant des pistes chacun dans son domaine. Voilà pourquoi un éventail varié d’artisans complémentaires est nécessaire, dans l’optique de créer des membres spécialisés dans leur domaine, tout en tendant vers la versatilité disciplinaire.

 

1.3 L’ouverture

Qui dit Odyssée dit voyages, et donc ouverture sur le monde entier et sur toutes les époques. La formation de l’acteur devra donc s’inspirer de tout ce que ce dernier peut se mettre sous la dent, de l’Asie du Sud-Ouest à l’Amérique centrale. Afin de développer le corps, la psyché et l’esprit de nos artistes, les techniques de gymnastique, d’arts martiaux, de théâtre ancien, de danse, et de sport seront très utiles. Les exercices de théâtre classique européen, loin d’être complètement rejetés dans un mouvement de révolte irréfléchie, seront tout simplement incorporés à toutes les autres routines, occupant une place tout aussi importante que les exercices de Nô japonais ou de Kathakali indien. En termes d’ouverture, les membres se devront de tendre vers la multidisciplinarité : tout le monde doit pouvoir tout faire, même si chacun peut avoir son champ d’expertise. Il sera donc demandé à chaque membre d’être acteur, d’apprendre au moins un instrument de musique, de participer aux tâches plastiques, à la mise en scène, à la technique, à l’administration, etc.

 

2. L’essence : le contenant

Le Théâtre de l’Odyssée se veut spirituel, voire religieux, dans la mesure où l’on tient compte de l’étymologie du mot. Religion vient du latin religare, qui signifie « relier ». On entendra donc le théâtre-religion comme une activité visant à relier l’être humain à lui-même, à ce qui le transcende (Dieu, mère Nature, ou autre) et aux autres êtres humains. Un théâtre qui aurait donc pour objectif de remplacer l’Église dans sa fonction sociale d’hier. Au lieu d’entendre dire : « Je vais à l’église tous les dimanches communier avec mes frères et sœurs humains », on entendra plutôt : « Tous les samedis soir, je vais au théâtre communier avec mes frères et sœurs humains ». À la différence que l’acteur n’est pas un prêtre, il n’a pas d’autorité sur les « fidèles ». Il est là pour poser les questions et, en dépit du fait qu’il propose des éléments de réponse, se laisser proposer en direct par le public des pistes différentes. « Autant l’acteur peut faire rire, pleurer et penser le spectateur, le spectateur lui aussi peut faire rire, pleurer et penser l’acteur » (E. Barba). Le problème avec toutes les formes de religions qui ont été délaissées, c’est la présence d’une hiérarchie défaillante, d’une autorité mal placée en matière de vérité.

Mais la religion n’est pas tout. La troupe désire agir dans la société en tant qu’unité de rassemblement. Aussi, lors du choix des lieux de représentation, des publics visés et des façons d’intégrer les spectateurs, les conséquences politiques et sociales seront prises en considération. Ce n’est pas la pièce de théâtre en soi qui abordera les causes qui tiennent à cœur aux membres, mais bien la façon de faire du théâtre.

 

2.1 Contenant

On entend par contenant la forme, tout ce qui est extérieur au texte de la pièce. La mise en scène, quant à elle, fait partie à la fois du contenu et du contenant, puisqu’elle est une interprétation du propos de la pièce (le texte), mais revendique en même temps une certaine liberté par rapport à ce dernier. En clair, tout ce qui concerne ce que la mise en scène envoie comme message dans la pièce fait partie du contenu ; tout ce qui concerne comment elle le dit est inclus dans le contenant. Par exemple, on pourra présenter une pièce qui aborde des questions ou des thèmes donnés, mais l’important résidera peut-être, disons, dans le fait que cette pièce est présentée en Cisjordanie avec un public constitué de citoyens israéliens et palestiniens qui, les yeux bandés, évoluent dans l’espace, guidés au début uniquement par les sons de la production. La forme du happening théâtral pourra elle aussi être exploitée sans problème. Mais attention, il ne faut pas confondre happening théâtral et théâtre de rue.

Le choix de la forme sera précis, clair et motivé par une réflexion pertinente. Il ne s’agit pas ici de « ramener le théâtre à sa forme populaire », comme pourraient argumenter certains partisans de la commedia italienne. En fait, le théâtre en tant que tel n’a jamais été « populaire » ni « seulement improvisé ». C’est un leurre.

Historiquement parlant, les seules traces que l’on ait du théâtre tel qu’on le connaît, mais dans la rue, sont des processions effectuées par les comédiens en personnages, afin d’attirer le public vers le théâtre. C’est là, et seulement là qu’il y avait interaction   « directe » avec les spectateurs. Les autres conceptions de dialogues sont modernes et nous les tenons du XVIIIe siècle.

 

2.2 La transcendance ou le sacré

La raison pour laquelle il est impératif d’accorder une importance fondamentale à la forme du spectacle est la recherche de transcendance. Au-delà de l’histoire que nous racontons, des questions que nous posons sur scène, qui sommes-nous, en ce moment, dans ce théâtre ? Quelle importance avons-nous ? Pourquoi sommes-nous là ?

Quelle relation avons-nous, nous les acteurs, non les personnages, avec eux, les spectateurs ? Au-delà de la nature des soins que prodigue un médecin à son patient, de quelle façon le fait-il ? Fait-il partie d’un organisme de coopération internationale ? A-t-il sa clinique privée au centre-ville ? Travaille-t-il chaque nuit pour un hôpital dans un quartier défavorisé ? Quel sens a pour lui la pratique de la médecine ? Voilà des questions bien importantes, et il n’y a aucune raison de ne pas les adapter à l’artiste. C’est la recherche du sens de ce que l’on fait. On cherche à transcender la pièce et la représentation pour plutôt chercher le sens que sa pratique a pour tous les êtres humains impliqués dans cette communion. Et comme communion il doit y avoir, car les rapports humains se doivent d’aspirer à plus que la superficialité quotidienne, toujours, on parlera de rapport sacré, d’activité théâtrale qui explore ces rapports et qui les approfondit.

 

2.3 Artiste virtuose ou artiste innovateur ?

La question des arts anciens revient souvent dès que l’on parle d’art sacré, car aujourd’hui, on a plutôt tendance à voir le théâtre uniquement comme un produit offert en échange d’un paiement. Cela dit, cette conception n’est pas totalement fausse, mais ce n’est pas pour autant qu’il faille associer automatiquement toute recherche de sacré dans l’art à des formes ancestrales. Il est vrai que l’on retrouve dans ces formes anciennes, qu’il s’agisse du théâtre liturgique médiéval, du Kathakali, ou du théâtre amérindien ou balinais, une motivation initiale de faire du théâtre pour rejoindre une dimension spirituelle, c’est-à-dire le ou les dieu(x) ou éléments de la nature qui dépassent la condition humaine. Par contre, ce retour en arrière nous force presque à ne voir l’artiste que comme un virtuose, et non comme un innovateur. On n’a qu’à penser à la croyance propre (mais pas exclusive) au Kathakali voulant que le corps de l’acteur qui interprète un dieu soit effectivement possédé par ce dernier. Le problème qui se pose immédiatement dès qu’on tente de comparer ce que l’Odyssée veut faire au Kathakali est la question de l’innovation. Ce n’est pas un petit problème, puisque dans la grande majorité de ces formes d’art sacré, on demande tout simplement à l’artiste de poursuivre des traditions, de participer à la transmission de ce qui existait déjà, avec très peu de place pour l’innovation. L’artiste ne crée pas, mais il excelle dans son domaine.

Après des années d’entraînement intensif, il est un véritable virtuose. On pourrait comparer cette conception de l’art à la musique dans une certaine mesure, puisque les grands artistes qui répètent Mozart ou Beethoven ne font que perpétuer, eux aussi, une tradition.

 

3. Philosophie : le contenu

Si la forme se doit d’avoir une importance décisive dans les productions de l’Odyssée, il ne faudrait pas pour autant se retrouver avec des spectacles qui, même présentés à un public intéressant, et d’une manière fascinante, serait au niveau du fond de simples et ennuyants divertissements. La recherche de transcendance doit se faire partout : dans le training, dans la forme et dans le fond. Les pièces, films, livres, expositions et autres œuvres artistiques présentées par l’Odyssée n’auront qu’une caractéristique commune au niveau du contenu, mais toute une : la recherche de sens. Le spectateur se doit de sortir d’une performance un peu changé. C’est ce qu’il est en droit d’attendre de la part des artistes. Pour parler en langage capitaliste et obsessif de la productivité, c’est le service que nous offrons en échange d’argent pour gagner nos vies, et nous n’avons pas à nous attendre à ce que le public paye pour entrer dans un théâtre-église qui ne l’aidera pas à avancer un peu dans sa propre recherche de sens. Pour arriver à cette fin, les artistes pourront voyager dans tous les domaines qui leur semblent pertinents, de la science à la gastronomie, en passant par les activités juvéniles ou le sport.

 

4. L’enfance

Pour créer une communion qui rejoint tout un chacun, on pourrait être tenté par la démagogie, on pourrait vouloir étudier l’opinion publique majoritaire et s’y conformer dans la création des productions. Mais cette «universalité» serait en fait très superficielle, car en plus d’avoir le défaut de ne rejoindre qu’une partie de l’humanité et de manquer d’authenticité, elle ne rejoindrait pas le public à un niveau essentiel de son être, dans toute son essence, à travers un langage universel. Alors, comment faire pour faire appel à tous de façon profonde sans tomber dans la prostitution des choix artistiques ? En faisant appel à l’enfant en chacun de nous. Avant que les conditionnements sociaux ne s’emparent de nos êtres, nous étions tous des enfants. C’est à travers le retour de certaines caractéristiques de l’enfance que la communication, le lien sacré entre tous les êtres humains présents dans le théâtre pourra s’accomplir. Mais à quelles caractéristiques faire appel ?

 

5. Odyssée

Ce texte a été écrit dans une optique de recherche du sens de l’activité théâtrale. Les éléments de réponses avancés à certaines questions fondamentales sont évidemment des hypothèses et peuvent tout à fait se voir changés du tout au tout par tout membre ou non membre de la troupe, car comment espérer que notre recherche de sens prenne une signification pour les autres, si la recherche des autres se heurte à notre propre fermeture ? Le but de cet article était d’établir les grandes lignes de la direction de travail du Théâtre de l’Odyssée, afin que tous puissent travailler sur la même longueur d’ondes et en pleine connaissance de cause.

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